
Eaux troubles : comment apprivoiser un climat en mutation ?
Avec le changement climatique, les phénomènes extrêmes tels que les sécheresses prolongées et les inondations intenses se multiplient. La gestion de l'eau devient un enjeu central pour les villes, les agriculteurs et les écosystèmes. Comment concilier urbanisme, préservation des ressources naturelles et adaptation aux conditions climatiques futures ? Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé nos trois experts du domaine : Guy Antony, François Ries et Thierry Schaack.

Quelle importance accordez-vous à une approche intégrée de la gestion de l'eau qui inclut l'urbanisme, l'agriculture et la préservation des écosystèmes ?
Guy Antony : Nous accordons une grande importance à une approche intégrée, notamment lorsque nous sommes sollicités dès la phase de conception des projets. Il est essentiel d'intégrer la trame bleue-verte dans l'aménagement des nouveaux quartiers et dans la reconversion des quartiers existants, en collaboration avec les urbanistes, les paysagistes et les autorités publiques. Notre expertise en gestion de l'eau permet de dimensionner correctement les infrastructures. Nous avons également contribué à la conception de serres innovantes qui utilisent la chaleur fatale et fonctionnent en autonomie totale en eau grâce à la collecte et la réutilisation des eaux de pluie.
Thierry Schaack : Il y a une dizaine d'années, l'eau de pluie était souvent perçue comme un problème ponctuel, et les systèmes d'assainissement visaient à l'évacuer rapidement. Aujourd'hui, avec le changement climatique, nous devons revoir notre approche et retenir l'eau de pluie sur place aussi longtemps que possible. Cela permet de limiter le ruissellement, de régénérer la végétation urbaine et d'atténuer les effets des vagues de chaleur.

Qu'entend-on exactement par « ville éponge » et « infrastructure bleue-verte » ?
Thierry Schaack : La ville éponge est un concept de gestion des eaux pluviales en milieu urbain, alors que l'infrastructure bleue-verte est une approche plus large visant à intégrer l'eau et les espaces verts dans l'aménagement durable des villes. Face aux épisodes climatiques extrêmes, ces solutions permettent de mieux gérer l'eau, de prévenir les inondations, de réduire l'effet des ilots de chaleur urbains et d'améliorer la qualité de vie.

Comment évaluez-vous la vulnérabilité des infrastructures hydriques face aux sécheresses et aux inondations croissantes ?
Guy Antony : Lors de sécheresses prolongées, la disponibilité d'eau potable diminue alors que les besoins augmentent, notamment pour l'irrigation et les loisirs. Même les eaux réservées dans le lac de la Haute-Sûre peuvent s'avérer insuffisantes. Par ailleurs, les inondations accroissent le risque de pollution des nappes phréatiques, compromettant la qualité de l'eau potable.
François Ries : Plus de pluie ne signifie pas automatiquement plus d'eau potable. Les pluies torrentielles provoquent souvent des inondations, polluant les nappes phréatiques et rendant le traitement de l'eau potable plus complexe et coûteux. Les longues périodes de sécheresse limitent le renouvellement des réserves d'eau, ce qui pose un problème à long terme.

Comment concevez-vous des infrastructures capables de résister aux inondations extrêmes tout en limitant les dommages environnementaux et économiques ?
Guy Antony : Il existe plusieurs approches : résister, éviter et adapter. Pour les zones inondables, on peut prévoir des bâtiments sur pilotis, des stationnements en rez-de-chaussée ou des coursives extérieures permettant de maintenir les étages supérieurs en service. Des protections comme des bardeaux et des cuvelages étanches peuvent aussi réduire les dégâts.
François Ries : L'urbanisation trop rapide et sans être conscient des risques qui en découlent en cas de pluies intenses aggrave le risque d'inondation. Des modélisations 3D permettent d'anticiper les flux d'eau en cas de crue. La prévention passe par la création de bassins de rétention en amont des zones urbaines, une entre nombreuses possibilités de remédier à cette situation. Ces ouvrages peuvent être intégrés au paysage et limiter l'impact des fortes pluies. Il existe aujourd'hui toute une série de mesures de prévention possibles pour faire face au phénomène des fortes pluies : l'utilisation d'espaces verts, d'aires de jeux, de parkings qui peuvent être inondés sans danger et sans risque de dommages en cas de fortes pluies. En outre, la prévention des fortes pluies consiste également à créer des corridors d'écoulement qui permettent à l'eau de s'écouler en surface sans causer de dégâts importants. Les nouvelles constructions, les parkings souterrains et les trappes dans les caves sont conçus et placés de manière à éviter autant que possible l'infiltration des eaux de pluie.

Quels rôles jouent les technologies émergentes, comme l'intelligence artificielle ou la télédétection, dans vos projets de gestion de l’eau ?
Thierry Schaack : L'intelligence artificielle permet de mieux prévoir les fortes pluies et d'optimiser la gestion des réseaux d'eau potable. Nous lançons actuellement plusieurs projets pilotes dans le domaine des pluies torrentielles. Principalement des projets de monitoring et surveillance de cours d’eau et d’ouvrages
Dans le domaine de l’eau potable, les systèmes intelligents permettent entre autres d'améliorer la gestion des réservoirs en optimisant leur remplissage pour réguler la distribution d'eau potable.
François Ries : La gestion intelligente des réseaux deviendra essentielle. Dans les réseaux d'assainissement, l'eau de pluie peut être retenue et évacuée progressivement pour éviter la surcharge des infrastructures. Pour l'eau potable, le remplissage des réservoirs peut être optimisé afin d'assurer un approvisionnement adapté aux besoins sans gaspillage. L'intelligence artificielle jouera un rôle crucial dans ces évolutions.